La poste impériale telle que la décrit Marco Polo fut certainement une des merveilles qui impressionna le plus les souverains occidentaux. Ce système efficace et rapide de messagers permettant au souverain d’être au courant rapidement des événements se déroulant dans son empire fut pendant longtemps un modèle. Cependant, Marco Polo ne mentionne pas un instant le système de corvée extrêmement lourd qui permettait de le faire fonctionner.
Comment les messagers du Grand Khan parcourent maintes terres et provinces depuis Cambaluc
Nombreuses sont les routes et les voies qui partent de Cambaluc en direction des provinces du royaume; l'une va ici, l'autre là. Chaque route est désignée du nom de la province où elle mène; mais ce nom reste secret. À vingt-cinq milles de Cambaluc, les messagers disposent sur quelque route que ce soit d'une poste, nous dirions d'un relais de chevaux, qu'ils appellent jamb. Ils y trouvent un palais magnifique avec des lits richement apprêtés d'étoffes de soie pour se reposer et tout ce qui leur est nécessaire, en particulier pour leur mission. Un souverain y viendrait, qu'il y serait parfaitement reçu! Chacune de ces postes dispose de deux à quatre cents chevaux selon son importance, comme le Grand Khan l'a ordonné. Et ceux-ci sont toujours sellés pour les messagers qu'il envoie à travers le royaume. Sur les principales routes qui mènent aux provinces, l'on rencontre de telles postes tous les vingt-cinq ou trente milles. Et lorsque ses messagers doivent traverser quelque endroit difficile dépourvu de toute habitation, le Grand Khan n'hésite pas à y faire construire un relais, en sorte que les distances à cheval ne soient jamais trop longues. Elles sont alors tous les trente-cinq à quarante milles. Et comme les autres, elles disposent de tout le nécessaire, chevaux et autres, en sorte que les messagers du seigneur aient tout ce qui leur est nécessaire à volonté, d'où qu'ils viennent. Et c'est un grand sujet de gloire. On n'en a jamais vu ou entendu raconter de semblable. Jamais en effet empereur, souverain ou baron ne disposa d'une telle richesse, car à la vérité plus de trois cent mille chevaux vivent dans ces postes uniquement pour le service des messagers du Grand Khan. Et il y a bien plus de mille palais, tous pourvus de riches équipements, comme je vous ai raconté. C'est une chose d'un prix si extraordinaire qu'on peut difficilement l'évaluer.
Je vais maintenant vous raconter quelque chose que j'avais oublié, qu'il faut rappeler ici. Le Grand Khan a donné ordre que partout entre deux postes, il y ait, tous les trois milles, un hameau d'une quarantaine de maisons où vivent des hommes qui vont à pied, qui eux aussi sont des messagers du Grand Khan. Ils portent une large ceinture toute garnie de clochettes qui s'entendent au loin, et ils courent à vive allure d'un château à l'autre. Les hommes du hameau suivant, l'entendant venir, ont préparé un autre coureur tout garni de clochettes, lui aussi. Celui-ci prend ce que l'autre lui apporte, et aussi un petit billet que le rédacteur de l'endroit qui est toujours prêt lui remet. Et il va courant jusqu'au hameau suivant, où on lui donne le change, et il s'en revient. Et ainsi de suite. Tous les trois milles le coureur change. Ainsi une multitude de coureurs portent-ils les nouvelles et les messages du Grand Khan. Et il leur suffit d'un jour et d'une nuit pour parcourir la distance de dix journées, car ils courent de jour comme de nuit. En cas de besoin, ils peuvent couvrir – c'est extraordinaire – la distance de cent journées en dix jours et dix nuits. Il leur suffit souvent d'un jour et d'une nuit pour apporter au Grand Khan des fruits ou d'autres denrées qui étaient à dix jours de là. Le Grand Khan ne leur réclame aucun impôt, mais au contraire leur donne de son bien.
Il y a également dans ces hameaux des hommes garnis de grandes ceintures à clochettes, qui peuvent apporter au Grand Khan les nouvelles urgentes émanées de lointaines provinces, comme par exemple celles de la révolte d'un seigneur. Ces coureurs sont capables de couvrir deux cent cinquante à trois cents milles en une journée et autant la nuit. Et voici comment. Ils montent les chevaux de la poste, qui sont toujours prêts, frais, reposés et rapides, et vont à grand galop autant que les chevaux le peuvent. Et ceux de la poste suivante, les entendant venir grâce aux clochettes qu'ils portent, ont tenu prêts leurs chevaux et équipé leurs hommes. Ils se transmettent les messages ou autres et galopent jusqu'à la poste suivante où, là encore, des hommes et des chevaux de rechange sont prêts, frais et dispos. Et ainsi se relaient-ils d'une poste à l'autre. C'est merveille. Ces coureurs sont très prisés. Ils s'entourent la tête, la poitrine et le ventre de fines bandelettes pour résister au froid. Ils se munissent d'une tablette de commandement portant un gerfaut. Si durant la course, leur cheval tombe épuisé ou s'il a quelque empêchement, ils peuvent prendre la bête du voisin sans que le propriétaire ne refuse, en sorte qu'ils ont toujours des bêtes fraîches et disposes. Et il y a autant de chevaux dans les postes que je vous ai dit.
Le Grand Khan ne dépense rien, ni pour les hommes ni pour les bêtes. Et voici comment et pourquoi. Il demande quelle cité est près de la poste et fait examiner combien de chevaux elle peut donner. Le nombre qu'elle peut, elle doit les fournir. De même pour les châteaux, ils doivent fournir le nombre d'hommes et de bêtes que l'on estime possible pour eux de donner. Ainsi toutes les postes près des cités, des châteaux et des villes se trouvent-elles équipées. Il n'y a que les postes situées dans des endroits difficiles d'accès que le Grand Khan fait équiper de ses propres chevaux. Laissons maintenant les messagers et leurs postes dont nous vous avons amplement parlé, et nous vous raconterons le geste généreux que fait deux fois par an le Grand Khan à l'égard de ses sujets.